Quand l’entreprise s’inquiétait qu’une tentative de viol perturbe sa campagne de lobbying


« Il a tenté de violer ma petite amie (…), il s’est arrêté dans une ruelle, a commencé à la toucher et a essayé de la forcer à le branler. » Le 1er février 2015, Uber est alerté au sujet d’une possible agression sexuelle commise par un de ses « chauffeurs partenaires » à Paris. En pleine tourmente juridique et médiatique en France et plus largement en Europe, la multinationale semble bien embarrassée par ce signalement qui tombe au pire moment, selon les échanges internes auxquels Le Monde a eu accès dans le cadre de l’enquête « Uber Files ».

« Uber Files », une enquête internationale

« Uber Files » est une enquête reposant sur des milliers de documents internes à Uber adressés par une source anonyme au quotidien britannique The Guardian, et transmis au Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et à 42 médias partenaires, dont Le Monde.

Courriels, présentations, comptes rendus de réunion… Ces 124 000 documents, datés de 2013 à 2017, offrent une plongée rare dans les arcanes d’une start-up qui cherchait alors à s’implanter dans les métropoles du monde entier malgré un contexte réglementaire défavorable. Ils détaillent la manière dont Uber a utilisé, en France comme ailleurs, toutes les ficelles du lobbying pour tenter de faire évoluer la loi à son avantage.

Les « Uber Files » révèlent aussi comment le groupe californien, déterminé à s’imposer par le fait accompli et, au besoin, en opérant dans l’illégalité, a mis en œuvre des pratiques jouant volontairement avec les limites de la loi, ou pouvant s’apparenter à de l’obstruction judiciaire face aux enquêtes dont il faisait l’objet.

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Le premier salarié de la société à étudier le dossier prévient immédiatement sa hiérarchie. Il explique avoir échangé au téléphone avec le « petit ami » de la victime présumée, titulaire du compte Uber utilisé pour commander la course, ainsi qu’avec l’intéressée elle-même. Il ajoute qu’aucune plainte n’a été déposée à ce stade. Quant au chauffeur, il s’agit d’un particulier qui utilisait le service UberPop pour arrondir ses fins de mois. Son compte est suspendu d’emblée car « il y a [déjà] eu un problème avec lui il y a deux mois ».

Moins d’une heure plus tard, Thibaud Simphal, qui dirige alors la branche française de l’entreprise, réagit : « C’est évidemment délicat de les encourager à déposer plainte tant que nous n’aurons pas progressé sur le plan réglementaire pour [Uber]Pop. » En ce mois de février 2015, en effet, le service de chauffeurs particuliers est sur la sellette en France. Uber se sait dans l’illégalité, mais cela ne l’empêche pas de continuer à le développer.

« J’ai cru que j’allais mourir »

Si les dirigeants d’Uber entendent défier la loi et font de leur mieux pour éviter les procès, l’illégalité d’UberPop n’est pas sans incidence sur le déroulé des courses. A cette période, nombre de chauffeurs UberPop demandent à leurs clients de monter à l’avant de leur véhicule pour ne pas apparaître suspects face à d’éventuels contrôles de police.

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C’était le cas lors du trajet incriminé, dans la nuit du 31 janvier au 1er février 2015, selon le récit qu’en fait aujourd’hui au Monde la victime présumée de cette tentative de viol, L., qui souhaite rester anonyme. « J’avais tout juste 18 ans et je rentrais de soirée. Pendant le trajet, le chauffeur était très étrange et je n’osais pas trop le regarder », se souvient-elle. Au lieu de déposer la jeune femme à sa destination, le conducteur se serait alors arrêté dans une rue déserte :

« Il a incliné mon siège et m’a demandé un massage. J’ai refusé et quand j’ai essayé de sortir, il a verrouillé la porte. Après, il a commencé à essayer de me toucher, à me dire des choses obscènes et a essayé de monter sur moi. J’ai cru que j’allais mourir. »

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